Lorsqu’on gare aujourd’hui son véhicule sur la place du Champ de Foire à Monestier-de-Clermont, on est loin d’imaginer l’activité qui y régnait certains jours, à une période pas si lointaine.

Reportons-nous au début du XIXe siècle. Les foires, qui se déroulent depuis des temps immémoriaux, connaissent toujours, à cette époque, une grande activité et sont une manifestation incontournable de la vie communautaire. Monestier-de-Clermont, comme chaque bourgade, organise, à dates fixes, ses foires traditionnelles. Celles-ci drainent un grand nombre de participants venus de tout le canton mais aussi des cantons voisins. On y vient pour se procurer ou pour vendre bétail, denrées, outils, vêtements ; on y règle fermages et baux, on y embauche ou on vient pour se louer. On en profite éventuellement pour faire une visite à la famille et aller chez le notaire. Le jour de la foire est un moment majeur de la vie du village qui bourdonne alors comme une ruche. On discute, on marchande, on s’interpelle, on plaisante, on se dispute, on va au café traiter une affaire devant un verre ou casser la croûte entre amis…

Idéalement placé sur la toute nouvelle Route Royale qui relie depuis 1830 Grenoble à la Provence, le bourg, petit chef-lieu de canton, voit dans la première moitié du XIXe siècle sa population sensiblement augmenter (548 habitants en 1801, 902 habitants en 1851) et ses activités économiques se développer. Les foires, notamment, prennent de l’ampleur. Et le conseil municipal, en 1840, se trouve devant un problème de taille. Lieu traditionnel de leur déroulement, la place de l’Hôpital (1) se révèle trop exiguë pour accueillir marchands et visiteurs, surtout lors de la plus importante de l’année qui se tient depuis la Révolution le jour du samedi de Pâques. Intitulée « foire du Samedi Saint », elle est particulièrement consacrée au commerce du bétail. On a alors besoin de beaucoup d’espace et les édiles sont à la recherche d’un lieu favorable pour établir « un champ de foire aux bœufs et aux moutons. »

L’acquisition du terrain

L’emplacement idéal repéré se situe dans la partie haute du village. C’est une zone de jardins qui présente les avantages suivants : une dimension suffisante pour accueillir un champ de foire, une harmonieuse forme rectangulaire (120 m x 30 m) et une situation privilégiée en bordure de la Route Royale, à proximité du centre bourg. Plusieurs propriétaires se partagent le site qui s’étend sur deux parcelles cadastrales. La première appartient à M. Augustin Ville, médecin au village, l’autre aux héritiers de M. Joseph Gaimard, au nombre de quatre, qui possèdent chacun une portion de la parcelle convoitée. Le 30 août 1840, le conseil municipal, sous l’égide du maire Nicolas David, fait une proposition d’achat qui reçoit un avis favorable de la part des propriétaires. Quelques mois plus tard, Alexandre Poudrel, représentant les consorts Ville et Gaimard, et Pierre Faucherand, représentant le maire, sont choisis pour établir un relevé des lieux et faire une estimation du montant de la transaction.

Le premier mars 1841, les deux hommes se rendent sur les lieux. Ils y délimitent par piquetage la surface à acquérir, soit le vaste rectangle qui sera le champ de foire et la portion de terrain nécessaire permettant de tracer un chemin d’accès de six mètres de large côté ouest. Cette nouvelle voie rejoindra en contrebas le chemin des Chambons à hauteur du four à chaux de Jean Martin (2). Elle s’intitule aujourd’hui chemin de l’Etaudey. Il est prévu en outre que les héritiers Gaimard bénéficieront d’un accès sous la forme d’un passage d’un mètre de large en bordure ouest du futur champ de foire, de façon à pouvoir accéder à la propriété qui leur reste.

Après avoir parcouru la parcelle Ville, les experts confirment le prix d’achat proposé par la commune pour la totalité de cette parcelle soit la somme de 1 035 francs, « comprise sa clôture en bois ». Puis ils font le métré de la partie à acquérir de la parcelle Gaimard. Elle est découpée en six lot, soit deux lots appartenant à Antoine Gaimard pour une superficie de 11,92 ares ; deux lots à Jean Robert, « mari et maître des droits de Marie Gaimard », pour une superficie de 11,7 ares ; un lot à Antoine Allemand, époux de Magdeleine Gaimard, de 5 ares, enfin un lot appartenant à Elizabeth Arnaud, veuve de Joseph Gaimard, de 8,66 ares. Le prix d’achat proposé pour ces trois derniers est de 62 centimes et demi le mètre carré. Antoine Gaimard fait l’objet d’un régime à part car il bénéficie de la part de la commune de la rétrocession d’un terrain de 18 m2 contigu à son jardin au nord du futur champ de foire. Le prix au mètre pour sa portion de terrain est fixé à 56 centimes un quart le mètre carré. Il est bien entendu que « les clôtures en bois tant mort que vif font partie de la vente sans augmentation de prix. » Le rapport de Poudrel et Allemand est accepté par les vendeurs qui signent au bas du compte-rendu une promesse de vente aux conditions exprimées.

Le champ de foire

La commune fait ainsi l’acquisition de ce terrain de 3 660 m2 pour la somme totale de 3 241 francs. On procède à des travaux d’aménagement : remblaiement, nivellement du sol et mise en place d’une fontaine. La gestion de la nouvelle place est confiée à un « fermier », c'est-à-dire à une personne qui est chargée de la gestion et de l’entretien du lieu. Un « bail à ferme » est établi où sont détaillés les droits et devoirs du fermier qui détiendra la concession pour une durée de quatre ans. Celui-ci perçoit le montant des locations d’emplacement les jours de foires et dispose « de tous les produits en foin, refoin, pâturage dudit champ de foire et même de l’engrais déposé par les bestiaux lors des foires et marchés. » Il peut aussi louer à son bénéfice des aires pour le battage des blés « à raison d’un demi-centime par jour pour chaque mètre carré qu’occupera l’emplacement loué » et ne pourra refuser une location. A sa charge, il doit veiller sur le site, en ne tolérant aucun entrepôt de fumier, bois, pierres ou autres matériaux et veiller à ce que rien n’entrave la tenue des foires et marchés, « à peine de tous dépens, dommages et intérêts. » La commune se réserve le droit d’effectuer à sa guise tous travaux de nivellement ou de remblai. Outre le montant du bail, le fermier devra régler les droits de timbre et d’enregistrement de l’adjudication et la somme de cinq francs « pour frais d’affiches, bougies, criée et menus frais. »

Le dimanche 28 février 1845 à trois heures de l’après-midi, on procède à la mairie à l’adjudication. Elle se fait « à la chaleur des enchères » et sera effective après l’extinction de deux feux successifs sans nouvelle enchère. La mise à prix est de quarante francs. Au premier feu, Ennemond Bertrand, propriétaire à Monestier-de-Clermont, monte l’enchère à quarante et un francs. Aucune nouvelle enchère n’étant faite lors des deux feux suivants, il se voit confier pour la somme proposée le bail du champ de foire pour une durée de quatre ans à compter du lendemain 1er mars. La solvabilité de l’acquéreur, qui est bien connu au village, le dispense de cautionnement et d’affectation hypothécaire. Le montant de la location sera réglé en deux fois, soit moitié le 24 juin, moitié le 1er novembre de chaque année. Il ne reste plus qu’au préfet à approuver le bail, ce qui sera fait le 5 mars.

Désormais, les foires peuvent se dérouler dans des conditions bien meilleures. Elles prennent même de l’extension. Il se révèle bien vite que le tout nouveau champ de foire est déjà trop exigu pour accueillir tout le bétail, notamment les troupeaux de moutons qui demandent une place importante. Aussi, la commune sollicite-t-elle M. François Ville, propriétaire du mas de l’Etaudey, situé à quelques dizaines de mètres de là. Aujourd’hui propriété Bert-Durif, c’est un lieu propice car, outre la proximité du champ de foire, un pont franchissant le ruisseau Chabana permet d’accéder directement à cette vaste prairie. La commune ne veut pas acheter la propriété mais désire obtenir l’autorisation de tenir sur ce lieu la foire aux moutons. Un acte est signé le 29 septembre 1848 qui précise les conditions de la location. La commune pourra tenir le champ de foire des moutons sur la propriété de l’Etaudey et le propriétaire aura pour prix de location l’engrais fourni par les moutons. Le dédommagement semble minime mais il faut croire que M. Ville y trouve son compte…

Tous les quatre ans, le bail pour le champ de foire aux bœufs est renouvelé. En 1849, on a abaissé la mise à prix à vingt francs. Après avoir lutté aux enchères, Pierre Bertrand, maçon, et Jean Blanc s’entendent pour prendre à deux la charge de fermier pour la somme de vingt-trois francs. Et ainsi de suite tous les quatre ans… La lecture des baux montre que l’affaire ne doit pas être d’un grand rapport pour le fermier car le prix de mise aux enchères baisse régulièrement, d’années en années, ainsi que le nombre de candidatures. Cette pratique du fermage perdure néanmoins jusqu’en 1911 où le dernier adjudicataire, M. Maffiodo, n’aura pas de successeur faute de postulants. La commune institue la gestion des fermages en régie communale. C’est le garde champêtre, Octave Pollin, qui est chargé d’encaisser le montant des locations. Il touche pour cela 15% des recettes en indemnité.

Quelques années auparavant avait été érigée dans la partie haute du champ de foire, en bordure de rue, une imposante croix de mission en fer forgé fixée sur un socle carré en pierre présentant deux marches. Sur celui-ci est gravée la sobre mention : « MISSION 1857 ». Elle est toujours en place de nos jours. C’est sans doute aussi à cette époque que fut édifié un modeste bâtiment destiné à abriter la pompe à incendie dont était équipée la toute nouvelle compagnie de sapeurs-pompiers créée en 1841. Petit édifice couvert d’ardoises, il sera agrandi en 1922 pour abriter également le « char funèbre » (corbillard) que la commune vient d’acquérir. Le bâtiment existe toujours, aujourd’hui voué à des toilettes publiques.

Autres temps, autre donne. Après la Grande Guerre, les foires commencent à péricliter et le champ de foire se révèle désormais… trop grand. Initiée quelques décennies auparavant, l’activité touristique de Monestier se développe et, pour l’agrément des villégiateurs, la municipalité décide en 1924 de créer dans la partie basse du champ de foire un petit parc public. Des marronniers sont plantés, des massifs de fleurs et des bancs installés, une clôture établie. Il est prévu que le lieu prendra le nom de « Place de la Victoire ». Cette dénomination n’aura jamais cours et les Monétérons l’appelleront simplement « jardin de ville ». Celui-ci voit sa fréquentation augmenter lorsque la poste y est installée en 1935. Un bureau est édifié, contigu à la maison Sénès qui devient le logement du receveur.

Les temps actuels

La partie restante du champ de foire voit se tenir régulièrement les foires du village. Mais celles-ci, nous l’avons dit, périclitent peu à peu pour disparaître totalement à la fin des années soixante. La place est dévolue progressivement au stationnement des véhicules. En 1960, la commune y établit un clos pour la pratique de la boule lyonnaise, ce qui apportera pendant une trentaine d’années une certaine animation au lieu pendant la belle saison. La vocation commerçante du champ de foire renaît en 1985 où, « à la demande des administrés », le conseil municipal établit un marché hebdomadaire. Chaque dimanche matin, la place est à nouveau animée par les marchands et leur pratique. Vingt ans plus tard, le marché est transplanté dans la Grand-rue libérée de la circulation automobile par l’établissement d’une déviation. Celle-ci sépare désormais champ de foire et jardin de ville.

Dernier épisode de l’histoire de ce lieu : une rénovation complète en 2009 avec agencement moderne du parking et transformation du jeu de boules en une aire de pique-nique judicieusement agrémentée par l’ancienne fontaine déplacée de quelques mètres et transformée en bac à fleurs. Enfin, est installée une nouvelle fontaine publique à eau recyclée. Cette dernière a été réalisée grâce au mécénat de la famille Allibert – Deconninck, dont le patriarche Joseph Allibert (1884-1972), très attaché à l’histoire de son village natal, fut le créateur à Monestier-de-Clermont de la célèbre entreprise au destin mondial.

Lorsqu’en 1985 on attribua des noms aux rues du village, la place prit fort logiquement le nom de « Place du Champ de Foire » en mémoire de son activité de naguère. Elle fait partie des lieux publics incontournables du bourg.

(1) Lire à ce sujet l’article de Lionel Riondet « La place de l’Hôpital à Monestier-de-Clermont » (revue des AVG n° 60 - décembre 2007)

(2) Le 21 prairial an XII, est trouvé mort sur ce four à chaux François Mollin, domicilié à Audières, « tombé asphyxié par les vapeurs qui s’en exhalent ». A l’emplacement de ce four, s’étend aujourd’hui, au pied du pont de la déviation, un petit parking dévolu aux véhicules de la Poste.

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